Cour d'honneur [Mina, et qui le veut !]

Je marche, tranquillement. L'allée principale qui sort du bâtiment mène droit au centre de la cour d'honneur, une cour carrée plutôt grande. Je la suis en regardant autour de moi. Peu d'élèves par ici, tant mieux. J'ai besoin de calme. Tout le temps. Le bruit m'agace, l'agitation m'énerve. C'est nouveau, depuis que Théo a changé de camp. Mais ça, seule moi le sait, et cela pour encore bien longtemps, j'espère. Rester gentille. Ne pas se faire remarquer, maîtriser ses actes, retenir ses paroles, prêter attention à son entourage mais rester détachée. Expression impassible, mains souples, nuque détendue et regard droit. Franc. Pas de secret. En apparence du moins.
Tous les bancs sont libres. Selon mes calculs, un élève lambda choisirait le deuxième à ma droite, par proximité. Un type Combat celui de gauche, proche de l'herbe encline à l'entrainement. Un Stratège... celui du milieu, permettant d'observer à 180 degrès. Les choix ne trompent pas. Jamais. En tout cas quand c'est moi qui les analyse.
Je m'assois donc sur le quatrième à ma gauche. Il ne porte aucune caractéristique spéciale, il est neutre. Garder ses secrets et son identité le plus longtemps possible, c'est ce que j'ai appris ici. A mes dépends. La fournée de petits nouveaux est arrivée il y apeu. On parle déjà de trois filles de seize ans, aux capacités exceptionnelles, et d'un garçon plus vieux au passé douloureux très surprenant. J'ai beau être plus jeune, je sais au moins qu'ils auraient mieux faits de filer droit. Pour leur bien.

Il serait vraiment dommage de rater une occasion pareille. Le nouveau, plutôt space d'apparence avec ses pieds nus et son sweat rouge informe-à moins que ce soit juste un bout de tissu sur ses épaule- a débarqué dans l'allée secondaire. Et il fume. Lui demander du feu peut être un bon prétexte pour l'aborder, tiens. Je suis géniale. Et, oui, je fume aussi. Peut être juste pour emm*rder mes parents, par style ou par dépendance. Mais non, je ne suis pas dépendante. A rien ni à personne, grand bien me fasse. Je me lève donc, sort mon paquet de la poche de ma veste et m'approche. La démarche du garçon trahit une tranquillité feinte, cachant quelque chose de profond. Comme du... Vide. Mais son visage, qui se veut inexpressif, en raconte beaucoup. Une douleur sourde, un déchirement et une dissimulation. Trahison. De qui, de quoi ? Je marche vite, bien destinée à le découvrir.
-Hey, salut, t'as du feu ? Dis-je en me plantant devant, lui, ma cigarette à la main.

Joli sourire. Alors comme ça il est moqueur. Bon, d'accord, rentrons dans son jeu. Soyons moqueuse.
-Attention mon grand, ta maman va se fâcher si tu traites mal les filles.
J'attrape le briquet, allume ma cigarette et tire une bouffée. J'expire, le regardant dans les yeux, et lui remet le briquet dans la poche.J'hésite à le chatouiller quand il s'étire nonchalamment, mais il risque de mal le prendre. Je ne voudrais pas avoir un oeil au beurre noir. Est-ce qu'il frappe les filles ? Les blondes ? Je réajuste mon pull en V, et attaque.
-Et un grand brun style "dfaçon-le-monde-j'en-ai-rien-à-foutre-parce-que je-suis-un-rebelle-en-noir-d'abord" est obligé de fumer n'est-ce pas ? Sinon il est pas pris au sérieux j'imagine.
Un sourire malicieux, en coin, je le mate. Oui, bon, autant en profiter. Grand, trop, la peau pâle, cheveux couleur jais et yeux noirs, il est pas mal foutu. Un peu mince peut-être mais bon, s'il est de type combat-ce dont je suis persuadée-il va vite forcir ici. Sûr qu'une ou deux filles lui tourneront autour avant la fin de la semaine.

- Et je suis pas un rebelle en noir.

Je rêve ou c'était du mépris dans sa voix ?Non, je pense pas. Mais est-ce qu'il a vraiment cru que je le prenais pour ce genre de gars ? Si ç'avait été le cas, je ne serais pas digne de l'établissement. Je continue à jouer le jeu, autant ne pas me découvrir trop tôt.
-Bah tant pis. J'aurais essayé ! Moi c'est Mina. Mina Noberi, 2°1. Et toi ? Tu allais où ? On peut aller autre part si tu veux.
Je tourne la tête et souffle. Un nuage de fumée gris s'élève, puis disparaît. Je n'en ai pas fini avec lui. Au fait, j'aimerais bien savoir comment sa mère est morte. Un accident ? Aha.

[mdr !]
Mais vas-y, pelote moi pendant que t'y es ! Jamais vu un gars aussi familier en si peu de temps. Est-ce que j'ai une tête à connaitre ce truc ?
Mais bon, il me tient chaud. Je reste sans bouger, les yeux sur l'écran. La vidéo est plutôt longue, mais ça ne me pose pas de problème. J'aime bien. Vingt secondes après la fin, je reste dans la même position, et lui aussi, les yeux fixés sur le portable noir. On doit avoir l'air vraiment strange tous les deux en ce moment.
-Y a une partie qui va être dure à reproduire (je lui laisse le soin de deviner laquelle). Mais bon, ça me va, je suis libre ce soir.
Je me retourne, le fixe dans les yeux.
-Reste à trouver de la peinture.
Je souris, m'écarte sans le quitter des yeux. Son sourire en coin est agaçant, mais je suppose qu'on s'y habitue. Pas que je compte le fréquenter à la longue, mais bon.

Changement de tête. Ce nouveau sourire donne déjà moins envie de lui taper dessus-bien que je sache que je n'ai aucune chance. D'ailleurs je sais toujours pas comment il s'appelle. C'est quoi cette manie qu'on les gens de pas répondre quand on leur pose une question ? Ma mère fait pareil. D'un ton qui n'admet pas de réplique, tirant sur l'hautain, je lâche :
-Je serais là à 45.
C'est toujours bien de s'imposer un peu de temps en temps. Je réajuste mon pull pour la deuxième fois, retiens sa tête et son expresison, et m'en vais. Direction : mon ordi.

Je marche dans la cour mon pot de colle dans une main et mon paquet de feuilles de l'autre. Je suis trop heureuse ! Le proviseur a accepté tout de suite sans me poser de questions. C'est vrai que c'est suspect, mais il est comme ça dans toutes les choses qu'il entreprend. Je n'arrive pas à le cerner. Et puis il n'y a pas de mal !
Je m'arrête devant un mur et pose toutes mes affaires par terre. Je mets la colle pose une affiche, remets de la colle, etc... L'endroit est bien calme aujourd'hui. Tant mieux, ça leur fera tous une surprise ! Je finis le travail et m'éloigne pour mieux voir. Ca pète le feu ! Je m'en vais contente. Ces affiches, je ne les mettrais que là, la flemme d'en réimprimer pour en mettre ailleurs.

Dans la cour d'honneur, on pouvait voir tous les murs recouverts d'affiches vertes, orange et noires. Dessus on pouvait lire :

Mercredi 31 octobre
à partir de 18h

BAL D'AUTOMNE

Tous les élèves devront être présent à cet évènement important et devront porter une tenue décente : Smoking obligatoire pour les hommes et tenues de soirée pour les dames.
La fête pourra durer juqu'au petit matin et pourra être écourtée en cas de problème major sous ordre du proviseur.